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Abell S1063, une lentille gravitationnelle pour le James-Webb
Des étoiles massives sans éléments lourds qui réionisent le cosmos ?
La plus vieille lumière du cosmos observable a été émise environ 380 000 ans après le Big Bang, au moment où, en quelques milliers d'années, l'Univers a pu permettre la formation des premiers atomes, principalement des isotopes de l'hydrogène, de l'hélium et du lithium, mais pas encore de carbone, d'oxygène et d'azote.
Ensuite, pendant quelques centaines de millions d'années tout au plus, aucune étoile ne brille encore et aucune galaxie non plus, bien que leur formation ait été commencée. Ce sont les fameux âges sombres qui vont se terminer lorsque les premières étoiles dites de population III se sont allumées. Étant donné les conditions physiques à ce moment-là et la composition de la matière ordinaire, ces premières étoiles devaient être des géantes bien plus massives que les plus grandes étoiles actuelles dans la Voie lactée, brûlant rapidement leur carburant nucléaire avant d'exploser en supernovæ, rejetant dans le milieu interstellaire les premiers noyaux lourds au-delà du lithium.
Depuis 13,8 milliards d’années, l’Univers n’a cessé d’évoluer. Contrairement à ce que nous disent nos yeux lorsque l’on contemple le ciel, ce qui le compose est loin d’être statique. Les physiciens disposent des observations à différents âges de l’Univers et réalisent des simulations dans lesquelles ils rejouent sa formation et son évolution. Il semblerait que la matière noire ait joué un grand rôle depuis le début de l’Univers jusqu’à la formation des grandes structures observées aujourd’hui. © CEA Recherche
Les cosmologistes voudraient bien observer ces étoiles de population III. Il est possible que celles déjà légèrement enrichies en métaux -- ces éléments plus lourds que l'hélium, selon le jargon des astrophysiciens - soient accessibles aux instruments observant dans l'infrarouge proche du télescope spatial James-Webb, le JWST, notamment si elles se sont formées à partir de nuages de gaz déjà partiellement enrichis par les premières étoiles de population III en fin de vie.
Mais malgré les performances de cet œil de la noosphère en orbite à l'un des points de Lagrange du système Terre-Soleil, pour espérer observer des objets aussi tôt qu'il y a 250 millions d'années après le Big Bang, il faut bénéficier d'un petit coup de pouce de la Nature : des lentilles gravitationnelles.
Abell S1063, une lentille gravitationnelle pour le James-Webb
Or, justement, comme l'expliquent les astrophysiciens dans un article disponible sur arXiv et qu'accompagnent plusieurs communiqués, à environ 4,5 milliards d'années-lumière de la Voie lactée, il existe un amas de galaxies dont la gravité est si forte que les masses dévient les rayons lumineux comme le ferait une loupe zoomant vers l'infini. Il devient alors possible d'observer des petites galaxies 10 fois moins lumineuses que celles détectées jusqu'à présent, 1 000 fois moins lumineuse que la Voie lactée.
Les chercheurs ont alors pu débusquer différents objets qui, bien que leurs distances et leurs anciennetés demandent encore des vérifications par des observations relevant de la spectroscopie, laissent penser que l'on voit peut-être des étoiles de population III déjà évoluées dans les premières galaxies.
L'amas utilisé se nomme Abell S1063 et on peut l'observer dans la constellation de la Grue. Le JWST nous montre alors, après plus de 120 heures d'observations, un ensemble de galaxies avec de nombreux arcs gravitationnels, renouvelant les images et les données déjà collectées avec cet amas au moyen du télescope Hubble, relevant de ce que l'on appelle « un champ profond : une longue exposition d'une seule zone du ciel, collectant un maximum de lumière pour faire ressortir les galaxies les plus faibles et les plus lointaines absentes des images ordinaires », comme l'explique le communiqué de l'ESA.

Un champ de galaxies dans l'espace, dominé par une énorme galaxie elliptique d'un blanc éclatant, cœur d'un amas de galaxies massif. De nombreuses autres galaxies elliptiques sont visibles autour. Autour d'elle se dessinent également de courtes lignes rouges incurvées et brillantes, images de galaxies lointaines en arrière-plan, agrandies et déformées par l'effet de lentille gravitationnelle. Deux étoiles au premier plan apparaissent grandes et brillantes, entourées de longues pointes de diffraction. © ESA/Webb, Nasa et ASC, H. Atek, M. Zamani
Des étoiles massives sans éléments lourds qui réionisent le cosmos ?
Le cas le plus fascinant est la galaxie nommée GLIMPSE-16043 qui semble donc bel et bien posséder des étoiles de population III (comme pour un enfant, les étoiles de population I sont les plus jeunes) et semble donc être l'une des premières galaxies.
Comme l'explique le communiqué du CNRS, « la galaxie GLIMPSE-16043 présente toutes les caractéristiques attendues pour une telle galaxie : une très faible luminosité, une faible teneur en oxygène et des signes d'étoiles extrêmement jeunes et chaudes ». Plusieurs biais d'observation possibles ne permettent pas encore aux chercheurs de conclure, comme dans d'autres cas depuis quelques années, mais une campagne d'observations spectroscopiques prévue en juillet 2025 avec le JWST nous en dira sans doute plus.
Elle sera menée toujours dans le cadre du programme GLIMPSE: gravitational lensing & NIRCam imaging to probe early galaxy formation and sources of reionization dirigé par Hakim Atek et ses collègues de l'Institut d'astrophysique de Paris.
Le Big Bang, les premières étoiles et la réionisation avec Hubble. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Hubble, ESA
L'enjeu n'est pas mince, car on sait qu'après l'émission du rayonnement fossile et tout au début de l'allumage des premières étoiles, l'Univers n'était pas encore transparent au rayonnement. Il ne l'est redevenu qu'au bout de plusieurs centaines de millions d'années grâce à de puissantes sources de rayonnement, responsable de la période dite de « réionisation » du Cosmos observable.
On comprend encore mal cette période qui a joué un rôle important dans l'histoire primitive de l'Univers où la quasi-totalité de l'hydrogène et de l'hélium neutre primordiaux qui emplissaient l'Univers a été ionisée par des objets dont la nature reste encore à déterminer.
S'agissait-il des étoiles de population III ou des premiers trous noirs géants dont l'origine reste elle aussi mystérieuse ?

par Laurent Sacco
Journaliste scientifique
Publié le 28 mai 2025 à 16:02
SOURCE: https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/astronomie-traces-premieres-etoiles-james-webb-devoile-cliche-couper-souffle-fin-fond-univers-122350/